Dernière mise à jour le 7 mars 2023
C’est un (petit) local qui est aussi un (petit) bijou. Le Musée de la typographie de Tours mérite le (petit) détour. Mais il risque de disparaître, par manque de (petits) moyens et d’intérêt de la part des (petites) autorités. Vous pouvez aider à le sauver, ce qui va peut-être se produire, comme nous l’expliquons dans notre encadré en fin d’article.
Balzac a le verbe haut et le chapitre long. On ne vous obligera donc pas à lire Illusions perdues (le premier tome, Les deux poètes) mais on est heureux de vous en faire profiter. Gratuitement… mais pas gratuitement (comprend qui peut). Simplement parce que Balzac, Honoré de son prénom, maniait fort bien la plume mais adorait aussi l’encre. Et qu’il fut imprimeur autant qu’écrivain, même si la première de ces tâches a mal tourné, contrairement à la seconde, comme on sait.
Donc, Honoré de Balzac, Tourangeau de naissance, a les racines plantées en terre de Touraine et la plume trempée entre Loire et Cher (et Vienne, on veut bien). Certes, l’information ne relève pas du scoop et nos fidèles lecteurs, comme on dit, se demanderont ce que l’ami Honoré vient faire ici et, surtout, où nous voulons en venir.
C’est que Balzac, tout génie qu’il fut, a bouffé de la vache enragée avant de connaître le succès. Et que, lassé de son régime carné, il décida en 1826 de devenir imprimeur, puis fondeur de caractères. Nous y voilà, ou presque.
L’opération fut une catastrophe économique mais le futur auteur de La Comédie humaine restera toujours attaché à l’imprimerie, ce qui lui fit dire : « Je veux être un homme de lettres de plomb. » Joli.
Cette passion, on la retrouve évidemment dans Illusions perdues, mais pas seulement lors de la visite tragique de Lucien à Paris. Dès le début du premier tome, elle apparaît dans la description d’une imprimerie, que voici, que voilà.
L’ours et les singes
« À l’époque où commence cette histoire, la presse de Stanhope et les rouleaux à distribuer l’encre ne fonctionnaient pas encore dans les petites imprimeries de province. […] Angoulême se servait toujours des presses en bois, auxquelles la langue est redevable du mot faire gémir la presse, maintenant sans application. L’imprimerie arriérée y employait encore des balles en cuir frottées d’encre, avec lesquelles l’un des pressiers tamponnait les caractères. Le plateau mobile où se place la forme pleine de lettres sur laquelle s’applique la feuille de papier était encore en pierre et justifiait son nom de marbre.
[…] Séchard était un ancien compagnon pressier, que dans leur argot typographique les ouvriers chargés d’assembler les lettres appellent un Ours. Le mouvement de va-et-vient, qui ressemble assez à celui d’un ours en cage, par lequel les pressiers se portent de l’encrier à la presse et de la presse à l’encrier, leur a sans doute valu ce sobriquet. En revanche, les Ours ont nommé les compositeurs des Singes, à cause du continuel exercice qu’ils font pour attraper les lettres dans les cent cinquante-deux petites cases où elles sont contenues. »
On arrête là mais il n’est pas interdit (au contraire) de relire Les deux poètes. Et voici le pourquoi de cette – longue – introduction : Balzac était amoureux de l’imprimerie, comme l’est Muriel Méchin. Et Muriel Méchin est l’âme du Musée de la typographie, sis au 15 de la rue Albert Thomas, à Tours. CQFD.
La Bible et Lucky Luke
Le Musée de la typo, pour les intimes, se la joue modeste. Quelques dizaines de mètres carrés, un fouillis d’enfer, un amas de trésors, et du matériel antédiluvien, oui, mais qui fonctionne et que Balzac adorerait.
Petite digression en passant. Tours a toujours été une ville où l’imprimerie jouait un rôle important. Si Balzac est allé louper son opération à Paris, « Nicolas Jenson, maître graveur de monnaie à Tours passera quatre ans à apprendre la typographie à Mayence, avant de s’installer à Venise, probablement par méfiance envers Louis XI qui a installé au Château du Plessis, à côté de Tours, sa capitale.
Au siècle suivant, Christophe Plantin, né à Saint-Avertin, fera fortune à La Haye où il imprimera la première Bible en quatre ou cinq langues. Abraham Bosse, né à Tours, sera l’un des meilleurs graveurs du XVIIe siècle, et, à la fin du XIXe siècle, l’Imprimerie Mame de Tours sera la plus grande imprimerie d’Europe avant de disparaître à cause de mauvaise gestion et du Concile Vatican II. Elle avait l’exclusivité de l’imprimerie en latin… » rappelle Muriel Méchin dans La Gazette du patrimoine. Accessoirement, on peut aussi souligner que la ville abrite, et a abrité, des journaux régionaux.
En vrai fondu de la typo, Muriel Méchin a amassé au fil de son existence (qui fricote avec les quatre-vingts ans) une quantité d’objets rarissimes et, surtout, porteurs d’histoire et d’émotion. Pour en apprécier la valeur, il suffit de pousser la porte du 15, rue Albert Thomas (si vous êtes touristes, c’est tout à côté du château).
On peut, avec l’aide de l’ancien typographe, vous donner un aperçu de ce qui vous attend : « Des bois de xylographie qui ont permis d’illustrer des romans de Balzac (encore lui), un bois de Gustave Doré, une presse à braille presque introuvable, une presse taille-douce en bois de l’époque d’Abraham Bosse, des plaques gravées, des pierres à lithographies… ». Les amateurs de Lucky Luke reconnaîtront même la presse qui fait la « Une » de l’album Le Daily Star !
Le plomb pèse lourd
Bref, un sacré patrimoine, que l’animateur du lieu (on ne se contente pas de visiter, Muriel Méchin fait moult démonstrations, de la fabrication du papier à l’impression, souvent avec de jeunes « apprentis singes ») n’aimerait pas, tout comme nous, voir disparaître avec lui. Las ! Le Musée de la typographie, même accompagné par une poignée de bénévoles, a besoin d’un lieu et d’une équipe pour continuer à vivre.
Surtout que, si l’entrée est gratuite – on laisse ce que l’on veut en sortant –, il coûte un peu aux animateurs. Le Covid, qui a évidemment éloigné les visiteurs, et une augmentation des charges, très élégamment appliquée au local pendant le confinement par son agence immobilière, conduisent Muriel Méchin à en être de sa poche pour le faire vivre.
Pas grave, face à un patrimoine comme celui-là, nul doute que la ville de Tours n’intervienne. Regardez Nantes, qui dit de son Musée de l’imprimerie que « La ville de Nantes peut s’enorgueillir de posséder, à ce jour, un lieu unique en Europe, véritable conservatoire des techniques anciennes et de leurs traditions, transmises avec amour par un personnel passionné et hautement qualifié. » (1) Et Anvers, où le natif de Saint-Avertin, de Tours, donc, Christophe Plantin, a vu son imprimerie devenir lieu culturel… inscrit au patrimoine de l’Unesco !
Pas de doute, la ville va casser une petite tirelire, sortir les 50 000 euros nécessaires au rachat de la collection, trouver un local sympa et fournir trois ou quatre personnes que Muriel Méchin va former, comme il l’a déjà fait, pour lui permettre d’aller « chier dans le cassetin des apostrophes », formule directe qui, comme nous le rappelle France 3, signifie prendre sa retraite dans le langage des imprimeurs.
Point à la ligne ou point final ?
Simple ? Ben non. La ville tord le nez. À la mairie, on ne voit pas l’intérêt.(2) Allez, on ne résiste pas au plaisir de vous citer le délégué municipal à la Culture et l’éducation populaire, Christophe Dupin, avec l’aide de actualitte.com : « Nous étions venus avec des techniciens, pour expertiser le lieu, ainsi que des élus liés au patrimoine et la culture. Nous avions [sic] alors convenu que la ville ne pouvait pas racheter la collection ni en faire un musée. […] « En dépit de quelques pièces importantes, l’ensemble n’est pas suffisant pour ouvrir un véritable musée : cela impliquerait trop de frais de bâtiment et de fonctionnement, en y associant en plus deux ou trois personnes. ». La ruine ! Et Nantes, et Malesherbes, et Saint-Lô ? Tous dingues, on vous dit.
Mais on s’en fout que ce ne soit pas un « véritable musée ». Non, ce n’est pas Le Musée du compagnonnage, noble et respectée institution locale. Et alors ? C’est un lieu culturel, un brin brinquebalant, qu’il serait facile de transformer en un mini centre d’animation avec une bien belle expo permanente. Parce que les animations, il en veut bien, Monsieur Dupin : « La poursuite de l’activité menée dans l’atelier nous intéresserait beaucoup » qu’il dit. Logique : le musée ferme et on fait l’animation sur le trottoir ? Il faut croire que même verts, les élus n’aiment vraiment pas la presse.
À Nantes, on doit dire des âneries quand on avoue avoir eu « l’idée de préserver ce qui fut cinq cents ans de communication de la pensée. » Ils ont fumé quoi quand ils disent : « Ensemble indissociable, le Musée de l’imprimerie de Nantes couvre les domaines culturel et artistique, historique et patrimonial, éducatif et pédagogique, social et citoyen. » (1) Pas à Tours.
En attendant, le bijou de la rue Albert Thomas risque de s’éparpiller dans une vente aux enchères ou de filer sous d’autres cieux. Il y a des propositions plus ou moins sérieuses qui arrivent. Mais ce n’est pas le but du jeu. Pour tenter de tenir encore un peu le coup en attendant des jours meilleurs – entendez « sans virus » –, les membres de l’association ont lancé une collecte.
Pas besoin de vider son portefeuille, un petit don (10 euros, ça ira ?) pourrait permettre de payer les charges en attendant le retour des visiteurs, masqués ou non. On vous donne le lien, que vous transmettrez à la mairie de Tours si vous voulez.
Il en aurait fait un bouquin, Balzac, de cette histoire provinciale, s’il avait su…
C’est le cadeau de Noël que l’on n’attendait plus : une repreneuse a décidé de prendre le risque et le relais. Stella Ramis (quasi-anagramme de Stella Maris, l’étoile de mer), rédactrice, correctrice, dessinatrice, photographe (ouf !) a eu le coup de foudre pour le mini musée et s’est senti poussé les ailes du désir, celui de le faire vivre et, aussi, grandir. Donc, Le Musée de la typographie de Tours a, tout d’un coup, retrouvé un avenir. Stella Ramis explique sa démarche ici et lance un appel aux soutiens tous azimuts.
À Entrée du public on applaudit des deux mains, tout en les resserrant pour prier le dieu de l’imprimerie de l’aider à réussir la plus grande des tâches qu’elle s’est attribuées, convaincre « les décideurs locaux », comme elle dit. Eu égard à ce qui s’est passé jusqu’à présent (comme nous l’écrivons par ailleurs), on lui souhaite un courage de plomb.
Mais on aime son enthousiasme, on le partage à fond et nous avons suffisamment crié qu’il fallait « sauver le soldat du plomb », qu’on veut y croire aussi fort qu’elle.
Apparemment, le Musée de la typographie renaît sous une bonne étoile…
(1) Hébergé par la municipalité dans la médiathèque Jacques Demy, Le musée de l’imprimerie de Nantes n’est pas pour autant chouchouté, malgré les apparences, à la mesure de ce qu’il offre et de ce qu’il fait. Si la surface qu’il occupe ferait pâlir de jalousie Muriel Méchin (et Stella Ramis), les réserves recèlent six fois plus que ce qui est visible aujourd’hui, au grand dam des animateurs. Un peu plus de place serait bienvenue…
Sans compter les animations et les visites. Il faut voir une trentaine de lycéens scotchés à leur portable s’en détacher peu à peu au fil de la visite, s’accrocher aux commentaires de guides passionnés et se laisser hypnotiser par les « saumons » de plomb en fusion, les lettres qui naissent du feu, la feuille qui se colore et la pierre encrée qui « parle ».
Il faut aussi entendre le téléphone de l’accueil sonner sans cesse pour réserver non seulement des visites, mais aussi des ateliers. Car à Nantes, comme bientôt à Tours, il faut l’espérer, les machines sont aussi manipulées par des enfants et des adultes en « ateliers », des graveurs en herbe, des imprimeurs nés avec l’ordinateur qui revivent le passé et l’amour de l’écrit. Fascinant, et encourageant.
Pour l’anecdote, il est amusant de découvrir à côté d’une linotype, un cylindre de plomb qui était utilisé pour imprimer… La Nouvelle République. Un signe ?
(2) Il faut cependant savoir que la mairie de Tours, du temps où elle était dirigée par Jean Germain, a proposé à l’association (quelques personnes, pas très nombreuses, en réalité) d’utiliser pour très peu cher les locaux de l’ancienne galerie qui se trouve face à l’Université François Rabelais, dans la rue des Tanneurs. Elle y aurait même gagné une linotype en état de marche. Las, c’est le talon d’Achille de bien des associations, les membres d’icelle n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la décision à prendre. La mairie s’est lassée. Fin de l’histoire…
Musée de la typographie, 15, rue Albert Thomas à Tours (Indre & Loire)
La page Facebook de l’association est LÀ
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https://www.leetchi.com/c/aidez-le-musee-de-la-typographie-de-tours