Dernière mise à jour le 3 février 2024
Le Théâtre Olympia de Tours accueille Le Chœur des amants de Tiago Rodrigues en janvier 2024. Variation sur les paroles qui viennent du cœur.
Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Tiago Rodrigues est le directeur du Festival d’Avignon. Il a remplacé Olivier Py, ce qui démontre que le festival se chausse au rayon grandes pointures.
Parce que Tiago Rodrigues, touche-à-tout théâtral dans sa jeunesse (« J’ai commencé à faire du théâtre amateur au lycée, par amour de ces gens-là un peu fous qui avaient ouvert un atelier. » – Libération), accro à l’écriture, comédien contrarié évadé avec le tg STAN comme un Capitaine Fracasse lisboète, a eu vite fait de se faire un nom à l’international, comme on dit, ce qui l’a conduit à diriger la jumelle de la Comédie Française, le théâtre national Dona Maria II de Lisbonne, avant de s’attaquer au Festival d’Avignon en 2023.

Un lieu où il avait déjà présenté pas mal de ses spectacles, dont l’émouvant By heart, où sa grand’mère, devenant aveugle, demande à apprendre un livre par cœur. Une de ses premières œuvres, créée en 2013, où certaines caractéristiques du travail de Tiago Rodrigues apparaissent déjà : sobriété de la scénographie, participation du public, notamment. « Le théâtre, c’est une assemblée humaine. On est physiquement présent pour partager un moment autour d’un geste artistique. » (Amnesty International)
L’héritage de son passage chez tg STAN, où l’on apprend avant tout à niveler les hiérarchies, à donner la parole à tous, à construire avec ce que l’on a en poche : « tg STAN donne une place centrale au comédien et croit dur comme fer au concept du comédien souverain, qui est aussi bien interprète que créateur. […] tg STAN croit résolument à la force « vive » du théâtre : un spectacle n’est pas une reproduction d’une chose apprise, mais se crée chaque soir à nouveau, avec le public. » (Présentation de tg STAN)

Un concept que Tiago Rodrigues appliquera à son maximum lors de « l’occupation » du Théâtre de la Bastille en 2016. Soixante-huit jours délirants où tous les mètres carrés de l’endroit étaient dévolus à un théâtre construit/déconstruit/reconstruit, avec participation des spectateurs, discussions, improvisations, contestations, aussi.
De voix en voies
Parler de « recherche » serait trop pompeux et hors-sujet mais il est juste de dire que Tiago Rodrigues « cherche » en permanence. Et il trouve. Des approches osées qui touchent juste, des essais réussis qui ouvrent les yeux. On est loin du rôle contemplatif du spectateur.
Avec Le Chœur des amants, qui sera présenté au Théâtre Olympia de Tours en janvier 2024, interprété par David Geselson et Alma Palacios, l’auteur/metteur en scène explore encore une voie (une voix ?) étonnante : un couple raconte le même épisode de sa vie, et sa vie entière, à deux voix, parfois en chœur, parfois individuellement. Et l’on découvre que les mêmes phrases ont parfois des sens différents, qu’une intonation peut changer le passé, que le souvenir a sa propre vie.
Tiago Rodrigues a repris le texte originel, écrit en 2007, sans le changer fondamentalement mais en y intégrant le passage du temps. Avec toujours la même interrogation à laquelle seule la représentation, qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, dirait Verlaine, peut, peut-être, apporter une réponse : « Interroger mes personnages sur leur vécu, c’est comme m’interroger sur le vécu de mon théâtre depuis que j’ai commencé à écrire », dit Tiago Rodrigues lors sa présentation aux Bouffes du Nord. « Les personnages seront-ils encore amoureux ? Ce jeune homme que j’étais, qui a osé écrire cette pièce, sera-t-il porté par la même nécessité de faire du théâtre ? Je ne sais pas si je suis prêt à entendre la réponse, mais je ne peux éviter la question. »
L’expérience peut dérouter, perturber, rébuter. Au début. Ensuite, on rentre dans le jeu : « L’étrangeté est qu’alors que les deux interprètes paraissent dire les mêmes mots au même moment, on n’écoute jamais les deux voix ensemble. On ne peut s’empêcher de choisir la version féminine ou masculine de cette vie à deux qu’on suit jusqu’à ses derniers souffles. » (Libération). Le travail de Tiago Rodrigues n’est pas facile, mais il devient vite évident.
Par sa perception du texte, par ses réactions, ses vibrations, la réponse à la question posée par l’auteur viendra peut-être, une nouvelle fois, du public, son habituel partenaire.